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Les dérapages liberticides de la loi sur le renseignement

publié le mardi 28 avril 2015

Début janvier, les attentats contre « Charlie Hebdo » et le supermarché cacher de la porte de Vincennes ont remis au premier plan la lutte antiterroriste. Et comme bien souvent, en réaction immédiate à une émotion légitime, nos gouvernants en ont profité pour faire voter un nouveau texte censé nous apporter plus de sécurité : le projet de loi sur le renseignement. Mais, à la veille du vote solennel de la loi par les députés le 5 mai, ce texte est loin de faire l’unanimité. De nombreux citoyens, membres de la société civile, juristes, magistrats, associations, acteurs du numérique, journalistes et médias…, inquiets de son contenu, se mobilisent (cf cette pétition et l’opération lancée par Médiapart).

Pourquoi ? Tout d’abord, le texte ne concerne pas seulement la prévention du terrorisme, la lutte contre la criminalité organisée, la sécurité nationale et internationale ou la protection des intérêts économiques, mais également « la prévention des violences collectives de nature à porter atteinte à la paix publique », c’est-à-dire les mouvements sociaux et les mouvements citoyens. Une disposition qui met en cause potentiellement la liberté d’opinion, la liberté d’association et la liberté de réunion. La séparation des pouvoirs ne sera plus garantie, l’administratif se substituant au judiciaire. En effet, les décisions de mise sous surveillance et de recueil de renseignements, auparavant prises par un juge, pourront être autorisées par le Premier ministre après avis - facultatif et consultatif - d’un nouvel organisme, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). La présomption d’innocence n’existera plus de fait. Le recours prévu auprès de la CNCTR ou du Conseil d’état par une personne faisant l’objet de telles procédures est illusoire, car compliqué pour le simple citoyen. Des pratiques jusque-là illégales deviendront légales, au mépris de toute vie privée. Les outils prévus par la loi sur le renseignement - micros, caméras, simili antennes-relais (IMSI-catchers) captant les téléphones portables, logiciels enregistrant ce qui est tapé sur un ordinateur, boîtes noires récupérant directement les données de connexion chez les fournisseurs d’accès à internet, les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche – permettront un système de surveillance généralisé. Enfin, la liberté de la presse et d’information est clairement menacée. La protection des sources des journalistes, déjà imparfaite, sera compromise, rendant difficile sinon impossible de mener des enquêtes sur des sujets d’intérêt public. Les lanceurs d’alerte seront encore plus exposés. Nous connaissons les conséquences du Patriot Act aux Etats-Unis. Le sujet y est très sensible et à propos de ce projet de loi, un récent éditorial du « New York Times » dénonce un futur « état de surveillance » en France, avec une loi « qui fait potentiellement de chaque citoyen une cible à surveiller » ; le texte souligne que « les journalistes risquent de déclencher la surveillance injustifiée du gouvernement tout simplement en faisant des recherches nécessaires à leurs enquêtes ».

Le renoncement à certaines libertés garanties par la Constitution est-il le prix à payer pour une plus grande sécurité ? Rien n’est moins sûr, car presque unanimement, magistrats, policiers et professionnels du renseignement affirment que cette loi n’aurait pas empêché les derniers événements. Ils considèrent que ce sont les ressources en personnel qui manquent surtout et que les priorités ne sont pas toujours claires. La surveillance des frères Kouachi, ou de Coulibaly, repérés comme proches du djihadisme, n’a pas été poursuivie, faute de moyens. Très récemment, le scénario a été le même pour Sid Ahmed Ghlam, terroriste présumé, suspecté de la préparation d’attentats contre des églises et du meurtre d’une jeune femme.

Dans de nombreux pays, des textes similaires sont utilisés pour limiter les libertés fondamentales et pour surveiller et persécuter les opposants. Notre République et notre démocratie sont-elles au-delà de tout soupçon et de tout danger de dérapage ? L’histoire nous enseigne que non.

Sylviane Baudois, présidente de l’AJT-MP

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