Eric Fottorino : « On aura plusieurs supports qui vont cohabiter »

AJT-MP : Le numérique est-il l’avenir de la presse ?

Eric Fottorino : Le numérique est vraiment la grande révolution de ces dix dernières années et donc de ce siècle. Je crois qu’il faut prendre cette révolution technologique pour ce qu’elle est : un outil supplémentaire pour communiquer, pour transmettre l’information, pour « engager la conversation » avec des lecteurs, des auditeurs, etc. Le numérique prend une place très importante mais il ne sera pas le seul à occuper le terrain de la transmission de la connaissance. On aura plusieurs supports qui vont cohabiter : le papier car il y a en effet encore des gens qui veulent du papier, Internet au sens de l’ordinateur mais aussi des téléphones intelligents (Smartphones, iPhones, etc.) et peut-être demain des tablettes sensibles ou du e-papier comme au Japon. Quand on dirige un groupe de presse, on doit connaître la part de chacun de ces supports et trouver un moyen de les monétiser pour sortir de la gratuité totale et faire en sorte que la valeur ne s’échappe pas du domaine que l’on a défini.

Les sites payants sont-ils alors une alternative pour la presse aujourd’hui ?

Je pense en tout cas que les pures player [médias d’information diffusés uniquement sur Internet, NDLR] ne peuvent pas exister. D’ailleurs, ils veulent faire du papier : Mediapart ou Bakchich-info en sont des exemples. C’est un alliage : quand a eu lieu, il y a trente ans, la crise de la sidérurgie, les aciers lourds ont disparus. On a fait des aciers spéciaux, des métaux intelligents. Je pense que la presse c’est pareil. La presse industrielle telle qu’on l’a connue depuis un siècle et demi, avec de grosses machines, est certainement derrière nous.

Comment faire coexister les différents supports ?

Il faut réinventer des supports et les modèles économiques qui vont avec. Les deux grands soutiens de la presse papier - la publicité et la diffusion- sont très attaqués aujourd’hui. En revanche on n’a pas encore démontré que le support Internet seul était viable. Souvent, les rédactions papiers et les rédactions numériques sont antagonistes, il faut les rapprocher et essayer de garder la spécificité des uns et des autres pour arriver à un champ global de l’information, avec des moments et des contextes différents. Le matin, vous écoutez la radio ou vous allez chercher l‘information sur votre iPhone ; si vous voyagez, vous prenez un journal ; quand vous êtes au bureau vous êtes sur votre ordinateur, etc. Ces différents temps doivent être fédérés sous des marques de presse fortes, je crois que pour Le Monde et pour d’autres, l’avenir est dans la capacité à nouer ces alliances internes entre les différents supports.

Propos recueillis par Nataly Breda