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Les dégâts collatéraux de la loi Hadopi

publié le samedi 16 mai 2009

Comme chaque citoyen, les journalistes sont concernés par la loi Création et Internet, dite loi Hadopi*. D’autant plus que des dispositions essentielles concernant les droits d’auteur des journalistes ainsi que le statut des sites d’information en ligne ont été artificiellement accolés à cette loi contestée et passent totalement inaperçus, cachés par la forêt du téléchargement illégal, y compris dans les médias. Après les Etats généraux de la Presse écrite, dont les recommandations, présentées dans un « Livre vert » le 17 janvier dernier, ont été validées pour la plupart par Nicolas Sarkozy, initiateur de la démarche, la profession était en droit d’attendre une harmonisation des mesures préconisées, des négociations, un débat avant le vote d’un texte… Au lieu de cela, un saucissonnage organisé dont le prochain épisode est la mise en place d’un code de déontologie (voir ci-dessous) empêche toute vision globale sur l’avenir de la presse écrite et permet de faire passer discrètement certaines options contraires aux vœux des journalistes ainsi qu’aux conclusions des Etats généraux.

Une atteinte à un droit fondamental

Après un premier rejet de la loi Hadopi par l’Assemblée nationale le 9 avril, le texte a été adopté le 12 mai, avec des réticences significatives, y compris du côté de la Majorité. Car cette loi, inspirée par les « majors » de l’audiovisuel, de la musique et du cinéma, véritable usine à gaz, ne générera probablement pas de droits d’auteur supplémentaires pour les artistes. Proposer des forfaits payants encadrant les téléchargements, comme cela se fait aux Etats-Unis, aurait sans doute été plus efficace. Quant au maintien de la « double peine » qui prévoit l’obligation de continuer à payer leur abonnement, même une fois leur connexion suspendue, pour les internautes sanctionnés pour téléchargement illégal, comment ne pas y voir l’influence des fournisseurs d’accès…

Sur le fond, la possibilité de suspendre une connexion à Internet par décision de l’Hadopi, sans décision de justice, donc sans possibilité de recours, met à mal les libertés publiques et constitue un dangereux précédent. De plus, la chasse au téléchargement illégal suppose la surveillance des connexions Internet en dehors de tout cadre délictueux (pédophilie, racisme, escroqueries…). Le Parlement européen a d’ailleurs indirectement remis les pendules à l’heure en votant le 6 mai, dans le cadre du « Paquet telecom » un amendement précisant qu’ « aucune restriction ne peut être imposée à l’encontre des droits fondamentaux et des libertés des utilisateurs finaux, sans décision préalable des autorités judiciaires »,ce qui signifie que seule une décision de justice peut restreindre l’accès à Internet, reconnu comme un droit fondamental.

En France, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a profité de la publication de ses activités 2008 pour critiquer la loi et revenir sur le rapport qu’elle avait transmis au gouvernement et qui n’a pas été pris en compte. La CNIL s’interroge en particulier sur le processus de « déjudiciarisation ».

Les droits d’auteur des journalistes mis à mal

L’article 10 bis A de la loi aborde la reproduction du travail des journalistes sur différents supports, dont Internet. Il était annoncé que les conclusions des Etats généraux de la Presse écrite, inspirées des propositions du « Livre Blanc » acté le 8 octobre 2007 entre les syndicats de journalistes et les éditeurs, seraient reprises (voir précédente « Lettre » de l’AJT-MP).

Dans un premier temps, le texte stipule en effet que l’exploitation de l’œuvre d’un journaliste hors de son titre de presse est subordonnée à son accord à titre individuel ou dans un accord collectif (groupe de presse), et doit donner lieu à rémunération. Les modalités de rémunération ainsi que le cadre des accords d’entreprise sur le sujet sont d’ailleurs précisés.

Mais un sous-amendement, présenté par le député UMP Christian Kert, et n’ayant fait l’objet d’aucune négociation préalable, a été ajouté en catimini dès le premier passage au vote de la loi. Malgré les protestations des syndicats et organisations de journalistes (dont l’AJT-MP), il demeure intégré au texte voté le 12 mai.

De fait, il met en cause l’application du droit d’auteur des journalistes et modifie le code du travail et la convention collective en spécifiant : « La collaboration entre une entreprise de presse et un journaliste professionnel porte sur l’ensemble des supports du titre de presse tel que défini au premier alinéa de l’article L. 132-35 du code de la propriété intellectuelle, sauf stipulation contraire dans le contrat de travail ou dans toute autre convention de collaboration ponctuelle. ». Alors que la règle était jusqu’à présent qu’un journaliste est employé par un seul titre, précisé dans son contrat, cette modification permet à l’employeur de lui imposer de travailler sur l’ensemble des supports d’un groupe : papier, Internet, radio, télévision… Ce qui signifie qu’il n’y aura pas paiement de droits d’auteur en cas de publication sur plusieurs supports. Pour les contrats de travail en cours d’exécution, l’employeur pourra imposer un avenant au journaliste précisant que sa collaboration sera désormais multi-supports. Que se passera-t-il pour le journaliste refusant cet avenant ? Quant aux journalistes pigistes qui n’ont pas de contrat de travail, on peut supposer qu’ils seront parmi les premiers touchés.

Un statut nécessaire pour la presse en ligne

Enfin, l’article 12 de la loi Hadopi énonce les conditions que doivent remplir les sites de presse en ligne, qu’ils soient adossés à un groupe de presse ou « pure player », pour bénéficier de conditions fiscales identiques à celles de la presse papier (TVA à 2,1% au lieu de 19,6%, exonération de la taxe professionnelle) : contenu original et d’intérêt général composé d’informations ayant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique ; emploi d’au moins un journaliste professionnel. Les sites et les blogs personnels ainsi que les sites à contenu industriel ou commercial sont également exclus (voir précédente lettre de l’AJT).

Ce nouveau statut s’avérait nécessaire pour permettre aux sites d’information de sécuriser leur modèle économique et sera sans nul doute accueilli favorablement par ses bénéficiaires. Ces mesures représenteraient une enveloppe de 20 millions financée par l’Etat. Reste à souhaiter que l’octroi de ces aides ne soit pas utilisé comme moyen de pression et respecte l’indépendance de ces sites.

Sylviane Baudois, présidente de l’AJT-MP

* Hadopi : Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, chargée de mettre en place les sanctions.

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